Notre savoir-faire nous permet d’intervenir sur des restaurations d’objets décorés en vernis Martin. Il nous a paru intéressant de partager avec nos lecteurs l’histoire et la technique de cette laque de tradition française.
Avec l’ouverture de l’Extrême Orient à l’Occident au XVIIIe siècle, les modes décoratives puisent leurs inspirations dans l’artisanat asiatique
Les formes, les motifs, les sujets sont imités et copiés mais les laques, dont les formules sont jalousement gardées par les artisans asiatiques, échappent à la copie. Afin d’orner leurs créations, les ébénistes et artisans français doivent réaliser leurs meubles pour ensuite les faire exporter à grand frais en Chine et surtout au Japon afin de les faire laquer. Ces coûteuses contraintes de temps (il faut parfois compter plus de 2 ans aller-retour afin de faire laquer un meuble!) et d’argent ne favorisent pas l’expansion de nouveaux styles, ni la pleine santé financière des artisans. C’est dans ce contexte particulier qu’apparait le vernis Martin.
Ce n’est pas la première fois que les ébénistes essayaient de copier les laques asiatiques
dès Louis XIV, plusieurs formules avaient été mise au point mais aucune ne parvint à s’imposer. La faute à une trop grande ignorance des composés originaux et des essences naturelles nécessaires introuvables en Europe.
Originaires du Faubourg Saint Antoine, les frères Martin étaient tous maîtres vernisseurs, spécialisés dans l’imitation des laques du Chine et du Japon. Ils découvrirent en 1728 une nouvelle formule (jamais totalement redécouverte) : un vernis gras, composé de résines à base de copal, dissoutes dans l’huile et rendues siccatives par l’addiction de litharge et d’autres éléments. Ils l’appliquèrent tout d’abord aux carrosses et chaises à porteurs puis bientôt aux meubles. Deux arrêts du conseil (le 27 novembre 1730 et le 18 février 1744 offrirent aux frères Martin l’exclusivité de réaliser pendant 20 ans des objets inspirés de la Chine et du japon.
Des supports variés pour cette matière
Les frères Martin, au nombre de quatre, n’en furent cependant ni les inventeurs ni les praticiens exclusifs !
Élaborée tout au long du XVIIe siècle et au début du siècle suivant dans les ateliers des vernisseurs parisiens, sans cesse améliorée, cette laque à la française ne représente pas une seule technique mais des techniques applicables sur des supports extrêmement variés : bois, cuir, métal, papier mâché, carton. De même, elle ne se cantonna pas à un seul secteur des arts décoratifs mais se déploya tant dans le mobilier, que dans le décor des boiseries, des voitures hippomobiles, des petites boîtes, tabatières, étuis et autres colifichets. L’engouement fut tel, que les marchands-merciers surent en tirer grand profit, proposant à leur clientèle, tant parisienne qu’européenne, des objets qui participèrent ainsi à l’élégance des intérieurs de ce siècle raffiné.
Cette technique permet aussi l’introduction de la couleur qui fait l’une des spécificités de la laque française. Les compositions de vernis permettent une plus large gamme. Désormais, se substituent aux fonds noirs et rouges, des fonds jaune, bleu, vert, blanc ou or. En faisant ainsi évoluer la technique, les peintres vernisseurs, sous l’impulsion des marchands merciers répondent aux goûts des clients. L’iconographie s’éloigne peu à peu des scènes et paysages asiatiques pour intégrer, assimiler l’art des peintres d’alors. Les œuvres de Greuze, Boucher, Oudry ou Vernet sont les principales sources d’inspiration et recouvrent une typologie extrêmement variée d’objets.
La spécialité des Martin : le carrosse
La voiture hippomobile du XVIIIe siècle est l’objet qui incarne le mieux les sommets de raffinement et de luxe auxquels était parvenu l’art décoratif français. C’est en effet le plus sur moyen de montrer sa position sociale, réelle ou prétendue, et de se faire remarquer. Paris est au XVIIème siècle la première place de la carrosserie. Vingt quatre berlines de cérémonie furent commandées par Jean V de Portugal pour la cérémonie de l’échange des princesses entre les cours de France et de Portugal. Le Mercure de France signale que la troisième voiture du cortège a été vernie par le Sr Martin le jeune et que le quatrième carrosse est une berline dorée par Martin aîné.
Retrouvez ici une visite virtuelle de l’exposition “Roulez carrosses” qui s’est tenue du 17 mars 2012 au 10 novembre 2013 à l’Abbaye Saint Vaast d’Arras.
Les intérieurs des grandes demeures font du vernis Martin un témoin de l’art de vivre du XVIIIe siècle français. Ce siècle des lumières qui aime autant l’art que les sciences, produit de nombreux instruments de mesure et de musique qui passent également entre les mains des vernisseurs. Mais la production atteint les sommets du raffinement à travers les décors qui parent les carrosses et les berlines, recherchés par toutes les cours d’Europe. Paris dénombre pas moins de 200 ateliers spécialisés dans la production d’attelages.
Pour aller plus loin :
Anne Forray-Carlier et de Monika Kopplin (sous la direction), Les secrets de la laque française. Le vernis Martin, Paris : Les Arts décoratifs, 2014 (ISBN 978-2-916914-47-3)
Il s’agit du catalogue de l’exposition qui s’est tenue en 2014 au Musée des Arts Décoratifs
L’article consacré à cette exposition par Paris vu de Paris